Pour l'été 2021 de transition des années Covid-19, en route pour les années Luma et Wiesner, la ville d'Arles ajoute à sa grande richesse culturelle une passionnante proposition au sein d'un espace expérimental destiné à révéler une création protéiforme.
Le lieu situé rue de l'Hôtel-de-Ville quasiment en face de la pharmacie éponyme, n'a pas encore de nom. C'est encore trop tôt. Malgré les barrières qui protègent de l'effondrement d'une partie de la façade (sans doute que la statue de la Vierge a du tressaillir à l'arrivée d'une nouvelle énergie), l'accueil est divin. On vous invite à parcourir les lieux, à grimper aux étage. On vous propose des explications mais dans mon cas, ce sera après la visite. Je vais d’abord m'imprégner de l'esprit des lieux.
L'esprit du lieu
Et justement, chaque pièce, chaque étage, chaque mur semble habité de la présence de chacun des auteurs qui ont été invité à investir le lieu. On comprend bien que c’est pour cela que la Vierge a tressauté. Car c'est du sérieux, ici on parle photographie, on parle installation, on parle vidéo. Le tout additionné, on parle réellement de création.
Ça tombe bien, l'un des anges à l'initiative du tremblement de terre se pose. Stéfanie Gattlen m’explique alors la genèse de la création du lieu par la trinité composée d’Alain Sinibaldi, Sandrine Lefort et d’elle-même.

En discussion avec Stéfanie et Shenna
Genèse
Cela commence il y a environ trois ans lors d’une rencontre avec Alain Sinibaldi. C'est un libraire réputé qui a réuni une importante collection de photos et de livres photos. Il m'a demandé de travailler avec lui tout d'abord dans l'idée d’un livre sur sa collection. Nous avions un éditeur qui était prêt à soutenir le projet, mais très vite nous nous sommes rendus compte que serait un travail énorme et que nous allions nous y consacrer pendant au moins deux ans sans pouvoir réaliser autre chose. Alain avait en même temps découvert la vie, les artistes, les amis, la fête, les salons, les voyages ! Et il a changé d’objectif, car finalement sa collection était déjà très bien répertoriée.
Au début était la femme photographe
Nous avons alors réalisé plusieurs catalogue à thèmes pour mettre la collection en lumière. Le premier était la femme photographe pour un salon à New York. Puis pendant le premier confinement, nous avons choisi le thème de la fête que nous avons appelé la bamboche car nous avions entendu un député s’écrier : C’est fini la bamboche. Il faut arrêter, cela suffit ! Ce thème a décliné pendant le confinement : Vive la bamboche. Des travaux ont été réalisés dans l'ancienne librairie d'Alain Sinibaldi, rue Henner à côté du musée de la Vie Romantique à Paris, afin de transformer le lieu. Le projet était de faire une petite galerie avec une cave équipée de vidéo-projecteurs. Nous avions de belles idées. Sauf que confinement oblige, nous n’avons pas pu ouvrir le lieu qui est resté en stand-by… Entre-temps, Alain me dit : Stéphanie je pense qu'il faut que l'on trouve un lieu à Arles. Nous allons faire quelque chose avec Arles ! Au début je n'y croyais pas, car nous n'avons pas l'esprit galerie. Alain, Sandrine et moi-même, on a davantage envie d'un lieu qui rassemble, qui crée, qui partage dans une utopie… Même si rien est encore très clair, mais pas une galerie ! Je rejette l'idée en disant à Alain qu'elle n'est pas bonne, à moins que ce soit une grande maison. Si c'est une grande maison, pourquoi pas ? Et trois jours après nous trouvons cet immeuble rue de l’Hôtel-de-Ville.
Le 12 mai 2021, nous obtenions les clefs. Le temps était court pour préparer l'endroit pour les Rencontres. C'était un défi incroyable car les qui commerçants l’occupaient depuis près de cinquante ans avaient leur boutique et résidaient aux étages. On a voulu ouvrir avant les Rencontres pour ne pas être trop identifiés Rencontres de la photo et s'ouvrir à la fondation Luma. Maintenant nous avons plein de projets et nous allons voir si nous allons pouvoir tenir l'année.

L’esprit de la transmission, c’est d’avoir des choses rares et précieuses issues de la collection d’Alain Sinibaldi et qu’elles puissent se donner à voir et se partager pour provoquer un déclic. Ce sont des trésors cachés qui peuvent éveiller et donner l’envie : peut-être que ce je vais faire va résonner à cela et pouvoir résonner ailleurs.
Chocolat et fondue suisse
On se dit que tout est possible et qu'à partir de là, on saura s’adapter. J'ai même pensé –comme je suis d'origine suisse– qu’en hiver nous pourrions vendre du chocolat et faire de la fondue. J'imaginais le chalet suisse avec des coucous. Mais nous sommes trois, et nous ne sommes pas arrêté sur nos idées. Nous avons plein d'envies et plein d'écoute. Également nous avons envie de faire des partenariats et développer des projets qui ne soient pas que propre à nous. Donc il n'y a pas de raison que cela ne marche pas. La maison a un beau volume, une belle vibration, elle est accueillante. En même temps elle est pas complètement accessible car il faut monter aux étages, il faut avoir envie. Il faut être invité. Ce n'est pas comme un grand show-room, c'est un peu privé. C’est une chose que nous allons conserver, je pense. Quand je parle de colloque, de soirées lors desquelles on boit et on mange. Il s'agit de réunir des désirs de création pour proposer autre chose.
Est-ce que nous pourrions pas nous réunir tout en réfléchissant à quelque chose ? J’aime ce mot de colloque qui veut tout dire et rien dire. Cela fait penser à la coloc que l'on fait lorsque que l'on jeune pour partager un lieu.
L'esprit du lieu : LE partage et la transmission
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La collection d'Alain Sinibaldi est impressionnante. Ce qui est formidable, c'est qu’il en autorise la manipulation. Il a un rapport très ouvert avec ses livres précieux et anciens : on se lave les mains et on les consulte. Il aime qu'on puisse les consulter. Pour lui, un livre doit vivre et être regardé. On doit le toucher et l’on ne le met pas sous verre. Ce n'est pas un objets de musée. Lorsque l'on est chez lui à Montreuil, les gens peuvent venir et consulter ses livres sur le canapé. Cela paraît logique, mais il y a tellement peu de gens qui pratiquent ce partage. J'ai une chance incroyable de pouvoir travailler sur cette collection qui contient près de quatre mille livres photos. C'est juste vertigineux. Et nous partageons les mêmes idées sur les thèmes, les sujets.

De la collection à la création
Ici à Arles, nous sommes un peu déconnectée, les artistes demandent si nous avons une carte, des flyers et nous n'avons rien de tout cela. Nous savons à peine utiliser WhatsApp. Nous avons tous les trois réalisé beaucoup de choses dans le domaine de la photographie, mais ici nous y allons doucement. L'esprit du lieu, c'est celui du partage. Notre idée de départ, si on la conserve, c'est de partir de la collection d'Alain d'une chose qu'elle a envie de faire découvrir au public qui est rare, unique et il fait partie de son trésor personnel et d'inviter les artistes à travailler autour d’un thème. C'est ainsi que nous avons fonctionné sur le thème actuel qui est celui de l'écran. Ce qui est génial c'est que dans des délais minimes, les artistes ont répondu OK, présent ! Cela faisait comme un défi. Et cela je trouve que c'est formidable. C’est là où l'on parle de création. Alors, est-ce qu'on aura les reins assez solides, de l’énergie et les artistes seront-il au rendez-vous ?
Que souhaiter pour les premiers épisodes ?
Nous sommes dans une maison avec un état d’esprit et une envie de créer des rencontres, des partages et des échanges. Nous avons la chance d’être au tout début, au premier épisode de cette aventure et que pour l’instant tout est possible. On ouvre la porte et l’on peut monter aux étages dans les back-stages pour voir ce qui est possible de faire. On a une vitrine, on a une galerie, mais en haut, j’espère qu’il va s’y passer des choses : des rendez-vous de création et de partage.
Propos recueillis par Didier de Faÿs
Alain Sinibaldi • 24 rue de l'Hôtel de Ville, 13200 Arles, France • +33 490 984 025