À l’heure où plus 5 milliards d’individus possèdent un smartphone qui permet de prendre des photos de qualité, beaucoup s’interrogent avec inquiétude sur ce qu’il reste à photographier et sur le devenir des photographes. L’exposition de Julien Lombardi La terre où est né le soleil nous apporte des réponses particulièrement rassurantes ce point car elle adopte un langage riche plein de promesses et fourmille de propositions inventives. Dès l’entrée de cette exposition, même sans regarder le panneau explicatif qui présente le projet du photographe, le visiteur est saisi par la puissance et la magie de la narration visuelle proposée. Il est des expositions où la puissance de ce qui est montré relègue au second voire au troisième plan la signalétique textuelle ou les cartels conçus pour faciliter le parcours du visiteur.

Julien Lombardi. Analyse, série La terre où est né le soleil, Mexique, 2017-2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Une approche ethnographique
Avant de devenir photographe, Julien Lombardi a suivi formation initiale en ethnologie. Cela se retrouve dans ce travail qu’il a mené pendant plusieurs années au Mexique, dans la vallée désertique de Wirikuta, auprès des terres sacrées des Indiens Huichols. En tant qu’ethnologue, il sait que les enquêtes auprès de groupes de populations autochtones soulèvent des problèmes éthiques et méthodologiques car il y a toujours le risque que l’enquêteur, à travers ses propres attentes et la construction de sa démarche, n’oriente les réponses obtenues. Le danger de l’exotisation voire de la folklorisation de l’autre n’est jamais bien loin. De la même façon, la présence du photographe et de son appareil modifie ce qu’il prétend enregistrer et l’objectivité photographique n’est qu’un leurre.

Exposition Julien Lombardi, Rencontres d'Arles 2022. Photo Didier de Faÿs

Des menaces sur la terre sacrée
Le territoire des Huichols est à l’origine de nombreux mythes fondateurs et de divinités : chaque année ces Indiens y organisent un pèlerinage pour y honorer la naissance du soleil et celle du feu. Aujourd’hui, ce territoire est menacé par des industries minières qui convoitent la richesse du sous-sol en échange de la promesse d’emplois mais dégradent irrémédiablement l’environnement, les pratiques de l’agriculture intensives qui en quelques années épuisent les ressources aquifères et le développement du tourisme de masse qui menace les traditions. Plutôt que de prendre le parti d’un camp contre les autres, Julien Lombardi s’est demandé comment les différentes attentes des acteurs qui vivent là pouvaient aboutir à la construction d’un avenir commun. Pour tenter d’apporter une réponse à cette question, il a voulu par son enquête mieux cerner comment se construisait le présent de ce territoire.

Exposition Julien Lombardi, Rencontres d'Arles 2022. Photo Didier de Faÿs

Une production expérimentale d'images
L’intention initiale de ce projet était documentaire mais petit à petit le photographe a adopté une approche plus expérimentale et subjective, plus plasticienne aussi, pour restituer de façon visible la dimension fantastique de cette région. Le résultat est que cette exposition La terre où est né le soleil est particulièrement réussie grâce à l’utilisation de nombreux médiums. La scénographie, très bien servie par un travail sur la lumière, nous plonge dans le mystère de la cosmogonie et des cérémonies secrètes des Huichols. En plus d’installations, de vidéos, de films tournés en infrarouge, de photographies noir et blanc et couleur prises de jour comme de nuit avec parfois le recours à des pièges photographiques, de tirages sur différents supports, de cartes en relief ou d’images satellitaires, l’artiste a constitué un véritable cabinet de curiosités à partir de la numérisation sur place de pierres, d’os, de peaux d’animaux et d’éléments de végétation qu’il a pris soin de remettre ensuite où il les avait trouvés. Combinant les codes d’une expédition scientifique mobilisant des technologies différentes pour voir le monde à ceux du réalisme fantastique, ce travail de Julien Lombardi nous alerte de façon poétique sur la nécessité de conserver le fragile équilibre de ce territoire.

Michel Grenié

Julien Lombardi La terre où est né le soleil, Croisière, Rencontres d'Arles, 4 juillet - 25 septembre 2022.

Enclavée dans une vallée désertique du centre du Mexique, Wirikuta est la terre des mythes fondateurs et de nombreuses divinités pour les Indiens Huichols. Chaque année, ils s’y rendent en pèlerinage pour honorer la naissance du soleil et du feu. Objet de convoitises et de nombreux récits, ce territoire riche en ressources naturelles et culturelles fascine depuis la conquête espagnole. Associant photographies, vidéos et installations, Julien Lombardi nous immerge dans les transformations et les sensibilités qui façonnent cette terre sacrée. Son investigation détourne les codes visuels de l’ethnologie, de l’archéologie ou de la biologie, pour en éprouver les limites. Extraction, prélèvement, découpe sont autant de gestes-miroirs de l’acte photographique et d’une relation technique au vivant, ici en question. Évoquant le réalisme fantastique, Julien Lombardi suggère que les outils de captation du réel peuvent être hybridés à des phénomènes invisibles pour expérimenter de nouvelles formes de récits.
Avec le soutien du ministère de la Culture et avec la collaboration du Centre national des arts plastiques.

Avant de devenir photographe, Julien Lombardi a suivi formation initiale en ethnologie. Cela se retrouve dans ce travail qu’il a mené pendant plusieurs années au Mexique, dans la vallée désertique de Wirikuta, auprès des terres sacrées des Indiens Huichols. En tant qu’ethnologue, il sait que les enquêtes auprès de groupes de populations autochtones soulèvent des problèmes éthiques et méthodologiques. Le danger de l’exotisation voire de la folklorisation de l’autre n’est jamais bien loin. De la même façon, la présence du photographe et de son appareil modifie ce qu’il prétend enregistrer et l’objectivité photographique n’est qu’un leurre.