À l'occasion d'une exposition atypique « L’Œil du Collectionneur » où l'expression est à la fois francophone et photographique, nous avons croisé le regard de Jérôme Prochiantz. Une rencontre en français pour évoquer ce moment particulier, cet instant viscéral que constitue la rencontre entre le collectionneur et la photographie. Une rencontre à vif pour évoquer les surfaces sensibles qui seront dispersées en présence des dix-neuf photographes choisis par le collectionneur les 14 et 15 mars 2022 à la Galerie Polka louée pour l’occasion.

Quelle est la genèse de cette exposition « L’Œil du Collectionneur » ?

J’ai fait la connaissance d’un certain nombre de photographes rencontrés au gré de la lecture de leurs portfolios, par des découvertes suite à leurs publications, par des rencontres dans des festivals ou par l’intermédiaire de certains comités professionnels de la photographie dont je fais partie. Ils m'ont souvent demandé « aidez-nous à nous montrer ».  N’étant pas galeriste, j'ai eu le déclic pour me lancer dans cette grande aventure de L’Œil du Collectionneur. J’ai souhaité m’adresser aux photographes francophones car cela manque dans le paysage photographique actuel

Pourquoi des photographes "francophones” ? 

Où sont aujourd’hui montré les photographes francophones Entre une institution qui montre la photographie allemande, celle qui montre la photographie japonaise, j'en passe et des moins bonnes. Quand allons-nous montrer nos photographes ?! J'ai l'impression que la plupart des pays mettent à l’honneur leurs artistes et que nous, en France, on aime bien montrer d'autres choses que notre propre production.  Avez-vous vu beaucoup d'institutions montrer la photographie française récemment ? Elle est rarement sous les feux de la rampe. Il me semble que dans la MEP de Jean-Luc Monterosso – qu'on aime ou pas ses expositions –, il y avait quand même de la photographie française ! 

Pourquoi le mot de "francophone” ? 

Parce que dans la situation politique d'aujourd'hui, le mot français me semblait inapproprié. Le mot français a une consonance qui ne me convient pas. J'ai longtemps hésité, mais la photographie française en ce moment, je trouve que c'est un peu inadapté. Le mot francophone ouvre en effet les frontières. Il y a des Suisses et des Belges dans mon exposition.

Comment avez-vous choisi les photographies ?

Le choix des images est le fruit d’un accord entre l’artiste et moi. J'ai choisi des images qui me semblent proches de ce qu'ils sont, proches de ce que j'ai vu en eux. Je leur ai laissé une liberté totale. Je ne voulais pas d'un quelconque fil conducteur ni du moindre interdit. La validation de leur choix a été difficile tellement j’ai vu de belles images 

La recherche des photographes et la préparation de l'exposition ont nécessité plus de trois mois de travail. Par moment cela a été une véritable souffrance, je trouvais que cette exposition ne ressemblait à rien. Ce n’est que, lorsque le texte de la newsletter a pris forme, que j'ai respiré. J'ai compris que l'exposition était sur la bonne voie. Mais il y a eu des nuits où j’ai pleuré. Réussir à coordonner dix-neuf personnes avec leurs personnalités propres est une vraie gageure et je ne suis pas prêt de le refaire, mais je m’autorise à changer d’avis.

CHOISIR UNE Photographie, C'est un coup de foudre

Comment choisir une photographie ?

J'aime les photographies qui me questionnent. Je n'aime pas qu'on me mâche le travail. J'aime la photographie pour le plaisir de la photographie. C’est à chaque fois un coup de foudre. C'est le tirage, c'est le papier… Le moment du tirage est le plus important de la photographie. Un mauvais tirage donne une mauvaise photographie.

Comment regarder une photographie ?

Je suis dans un certain recueillement devant une œuvre. La photographie me rend très, très mélancolique. Je regarde une photographie les larmes aux yeux. Je ne sais pas pourquoi. J'essaie de comprendre mais je constate qu'il y a un rapport à l'œuvre qui me chamboule. Oui, vraiment. Chez moi, il y a beaucoup de photographies, et parfois, le soir, j'éteins tout et j'allume les projecteurs. Il y a deux pièces dans mon appartement pour lesquelles j'ai fait venir un professionnel de l’éclairage de la photographie ; il a placé des projecteurs au plafond. Alors, je peux passer deux ou trois heures à regarder une photographie. Je découvre beaucoup de choses que je n'avais pas vues. C'est incroyable. Comment le dire ? La photographie me fait mal. 

regarder une photographie me chamboule

Comment acheter une photographie ?

Acheter une photographie est le reflet de la personne au moment où elle l'achète. Cela peut être une assiette de fraises de J. P Sudre ou une photographie extrêmement violente. Elle reflète vraiment l'état dans lequel est l'acheteur à cet instant. Je trouve qu'à travers une photographie, on peut lire dans l'âme de la personne qui la possède. C'est pourquoi ma collection n'a pas été beaucoup montrée. Il y avait quelques personnes qui la connaissaient, mais en y repensant, peu de monde. En 2019 ou 2020 j’ai fait le choix d’en faire don à la BnF –avec conservation de la jouissance jusqu’à ma mort– et c’est à partir de ce moment que j'ai décidé de la montrer ; je me suis senti plus léger. Lorsque j'ai commencé à la montrer – cela a été un défilé – les gens dans l’ensemble ont été assez époustouflés. 

L’encadrement est du ressort du collectionneur

Comment montrer une photographie ?

Lorsque j'achète une image, je sais déjà comment elle sera encadrée. Je sais déjà lorsque je la vois, ce qu'elle deviendra. Comment elle va être encadrée. L’encadrement est pour moi capital. Il est du ressort du collectionneur. L’en priver c’est le punir.

Comment est Jérôme Prochiantz au moment d’un achat en vente aux enchères publiques ?

Quand il y a une vente de photographie, je ne suis plus du tout le même. Je travaille beaucoup sur les catalogues, avec une recherche sur chaque photographe dont l’image me plaît. Et au moment de la vente, je suis incontrôlable. Je ne suis plus la même personne, je deviens complètement groggy. Mais que ce soit en vente publique ou en vente en ligne, c’est terrible, je ne me reconnais pas. Je me souviens de ventes chez Sotheby’s… Cela me met dans un état second. La préparation est vraiment excitante, c'est un peu comme celle d’un voyage. Ce qui est formidable, c'est de le préparer. Choisir les villes où l’on va aller, choisir les hôtels dans lesquels on va descendre. Et déjà le voyage commence chez soi. J’aime bien cette préparation-là. 

Lors des ventes, c’est violent. Le collectionneur que je suis devient une autre personne. Il faut que j'aie l’œuvre. Aujourd'hui, si mes moyens ne sont plus ce qu'ils étaient, je me fais encore très plaisir avec des choses beaucoup plus simples. Mais les choses importantes, je les ai déjà acquises.

Comment s’est constitué votre collection de photographie ?

Il y a sept Robert Mapplethorpe à la maison, il y a trois ou quatre Nan Goldin. Il y a de très belles choses. Ce n'est pas pour me lancer des fleurs, mais il y a de très belles images acquises ou parfois offertes par des photographes devenus avec le temps des amis et que je remercie. Il n'y a pas, à ma connaissance de Mapplethorpe dans la collection de la BnF [avant la donation Jérôme Prochiantz à la BnF, ndlr] alors que pour moi c'est le plus grand photographe qui soit. Ses tirages sont parfaits. Ses formats sont parfaits. Ses sujets sont parfaits. J'aurais aimé le rencontrer. Mais avec moi, c’est toujours raté, ces rencontres… Si j'avais pu le rencontrer ça ne se serait peut-être pas bien terminé. Car quand on voit ses bouquets de fleurs ou ses hommes nus cela traduit exactement l’état dans lequel on est. Ses fleurs en couleurs sont extraordinaires, ses corps noirs ou blancs sont fabuleux. Même les fesses de Lisa Lyon sont magnifiques, c’est vous dire ! C'est un immense photographe. Est-ce un immense photographe parce qu'il est mort tôt, ce n'est pas impossible. Mais pour moi, c'est la quintessence de la photographie. Les matières, l’eau dans la baignoire de James Ford, les tissus d’un pantalon, le rendu du cuir, tout est douceur. Bravo l'artiste ! 

Une collection, c’est une amitié avec des galeristes

J. P. Witkin est important pour moi mais ça n'a rien à voir avec Mapplethorpe. Mais Peter Hujar et George Dureau sont aussi, à mon sens, sublimes. Witkin, j'aime bien sa folie. C'est une photographie très traficotée. La morgue de l’hôpital voisin d’Albuquerque prête des corps pour 24 heures. Une collection, c’est aussi une amitié avec des galeristes comme mes amis Baudoin Lebon et Françoise Morin. J’en oublie et qu’ils ne m’en portent pas rigueur.

Aujourd'hui je ne pourrai plus faire cette collection car c'est beaucoup d'argent. Acheter sept Mapplethorpe, c'est violent financièrement parlant. Mais j'y suis arrivé.

Une collection, ce sont des rencontres avec des photographes

La photographie, c’est une rencontre ?

Le moment où vous achetez une photographie, oui, c'est extraordinaire –c’est le collectionneur qui parle– Ou alors, c’est que l’on n'aime pas la photographie ou c’est que l’on n’y connait rien ; c’est parfois pour faire un investissement. Mais le placement financier n'est pas mon domaine. Il peut arriver que l’on rencontre le photographe après coup, que l’on regrette d'avoir acheté l’œuvre, et je ne citerai personne. Mais il y a eu de belles rencontres. Il y a eu des rencontres malheureuses, mais les belles ont été largement dominantes. Quand vous avez la chance d’avoir à votre table, ensemble ou séparément des personnalités comme J.H Engström, Jean Christian Bourcart, Antoine d’Agata ou Mathieu Pernot, vous passez une excellente soirée. Ce sont des amis formidables. Je vois Mathieu Pernot que j'ai invité et qui me confie que ça lui fait tellement plaisir de participer [à l’événement chez Polka, ndlr]. Je ne connais pas bien l'art contemporain mais la photographie, c'est un monde à part. Je ne pense pas que Francis Bacon serait venu prendre un café à la maison. Mais Jane Evelyn Atwood le fait. Et Sophie Calle vous convie pour en prendre un.
Il y a quand même des liens différents mais il est possible que je me trompe.

Propos recueillis par Didier de Faÿs

 

« L’Œil du Collectionneur » se tiendra  le lundi 14 et le mardi 15 mars 2022 de 17h à 20h30 à la Galerie Polka au 12 rue Saint-Gilles à Paris

 

 

 

 

 

 

 

​​​​​​​À l'occasion d'une exposition atypique « L’Œil du Collectionneur » où l'expression est à la fois francophone et photographique, nous avons croisé le regard de Jérôme Prochiantz. Une rencontre en français pour évoquer ce moment particulier, cet instant viscéral que constitue la rencontre entre le collectionneur et la photographie. Une rencontre à vif pour évoquer les surfaces sensibles qui seront dispersées en présence des dix-neuf photographes choisis par le collectionneur les 14 et 15 mars 2022 à la Galerie Polka louée pour l’occasion.