Depuis sa création en 1998, la Bourse du talent a toujours accompagné l'émergence photographique. Qu'aujourd'hui, les lauréats de ce prix soient mis à l'honneur lors des Rencontres d'Arles souligne la pertinence des choix du jury. La jeune création s'inscrit dans un patrimoine vivant qu'exprime le festival estival qui redevient enfin international après les années Covid.

À la suite du grand succès remporté par Border de Jean-Michel André en 2021, ce sont les propos et les histoires de Noémie Goudal, Léa Habourdin, Julien Lombardi et Maya Inès Touam qui rencontrent l'adhésion du public arlésien. 

Léa Habourdin. Images-forêts : des mondes en extension, anthotype, sauge guarani (calice des fleurs), 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

LÉA HABOURDIN | IMAGES-FORÊTS : DES MONDES EN EXTENSION
Le travail de Léa Habourdin part d’un constat simple relaté dans la presse : les forêts primaires n’existent plus en France métropolitaine. Les forêts qui survivent sont celles qui n’ont pas subi de trop forte influence de l’Homme au cours des dernières décennies. Accompagnée de forestiers et de conservateurs, la photographe a passé deux ans à documenter ces lieux protégés. Elle a ensuite réalisé ses tirages en extrayant la chlorophylle photosensible de végétaux, et en utilisant des pigments de plantes fabriqués par un artisan. Ces tirages, des anthotypes, ont la particularité de ne pas résister à la lumière diurne.
Du jaune vif des feuilles de bouleau au rose pâle des pétales de coquelicot, l’image des forêts ainsi fixée est évanescente, entrant en résonance avec le fantasme que nous avons toutes et tous d’une forêt primaire.

Julien Lombardi. Kauyumari, le cerf bleu, série La terre où est né le soleil, Mexique, 2017-2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

JULIEN LOMBARDI | LA TERRE OÙ EST NÉ LE SOLEIL
Enclavée dans une vallée désertique du centre du Mexique, Wirikuta est la terre des mythes fondateurs et de nombreuses divinités pour les Indiens Huichols. Chaque année, ils s’y rendent en pèlerinage pour honorer la naissance du soleil et du feu. Objet de convoitises et de nombreux récits, ce territoire riche en ressources naturelles et culturelles fascine depuis
la conquête espagnole. Associant photographies, vidéos et installations, Julien Lombardi nous immerge dans les transformations et les sensibilités qui façonnent cette terre sacrée. Son investigation détourne les codes visuels de l’ethnologie, de l’archéologie ou de la biologie, pour en éprouver les limites. Extraction, prélèvement, découpe sont autant de gestes-miroirs de l’acte photographique et d’une relation technique au vivant, ici en question. Évoquant le réalisme fantastique, Julien Lombardi suggère que les outils de captation du réel peuvent être hybridés à des phénomènes invisibles pour expérimenter de nouvelles formes de récits.

Maya Inès Touam. LV et Protéa, série Replica, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

MAYA INÈS TOUAM | REPLICA
Quel espace créatif pour une femme et une enfant d’immigrés algériens, consciente de son héritage ? C’est cette question qui pousse Maya Inès Touam à l’étude de ses pères, peut-être aussi de ses pairs. Pour Replica, elle se plonge dans l’œuvre de l’artiste Henri Matisse (1869-1954), qu’elle emprunte, ou « sample », pour évoquer le champ musical, en y tissant des références à son « continent d’origine », l’Afrique, dans autant d’hommages impertinents. Ananas et joujou (2020) répond à Ananas et Anémones (1940), Icare, le revenant (2020) fait écho à Icarus (1943-47), et L’enfance, la mer (2020) évoque Polynésie, la mer (1946). En plaçant la créolisation au cœur de sa pratique, Touam propose un nouveau vocabulaire visuel, aussi ludique que savant, pensé en rhizome, à la rencontre de plusieurs époques.

JEAN-MICHEL ANDRÉ | BORDERS
Le point de départ de ce travail se situe dans la « Jungle de Calais », à la veille de l’évacuation du bidonville en 2016. Jean-Michel André l’a poursuivi pendant trois ans, en France, en Italie, en Espagne et en Tunisie. Partout, il a rencontré des réfugiés qui cherchaient un abri ; des femmes, des enfants et des hommes réunis avec pour unique richesse le temps infini de l'espoir. Borders n’est pas composé comme une série linéaire, ni tout à fait comme un récit : plutôt comme un recueil. Jean-Michel André photographie les traces de territoires traversés en révélant l’ombre, l’errance, et en traçant un fragile liseré entre le réel et l’imaginaire, le souvenir et le présent. La temporalité y est flottante et les espaces incertains.