Après deux années fortement perturbées par le Covid, les Rencontres d'Arles retrouvent leur format habituel. À la lumière des expositions vues dans la cité carmaguaise et sans préjuger de la quinzaine d'expositions satellites qui se tiennent dans d'autres villes proches, soulignons la réussite que constitue pour cette édition 2022 l'attention accordée à des femmes photographes, jeunes ou non, reconnues ou à découvrir.

Plusieurs expositions ont le mérite de rappeler à quel point le médium photographique a été et reste un outil indissociable des luttes d'émancipation féminine, des combats menés en faveur d'avancées sociales et qu'elle demeure un formidable support pour aborder les enjeux contemporains notamment environnementaux.

L'avant-garde féministe 1968-1980
L'exposition à l'atelier de la Mécanique générale aborde l'avant-garde féministe de 1968 à 1980 à travers deux cents œuvres de la collection Verbund à Vienne qui sont emblématiques du travail de soixante-treize femmes artistes dont la plupart sont encore vivantes. Une scénographie claire et lisible où l'on circule de façon fluide et sans se lasser donne corps à ce que fut l'engagement de ces artistes qui – de façon crue, brutale ou humoristique – ont lutté pour parvenir se faire une place au sein du monde l'art. Elles prirent souvent de gros risques pour faire entendre leurs voix, briser les stéréotypes de la mère au foyer ou d'un corps réduit à des canons de beauté pour être désirable, et parvenir à exister en tant que créatrices sans être réduites à une assignation de genre. Plusieurs décennies plus tard, quand on constate à quel point le rôle des femmes dans l'histoire de l'art reste encore de nos jours trop souvent invisibilisé, on ne peut être qu'admiratif de la diversité des formes des d'actions artistiques que ces pionnières surent trouver et la vigueur de leur détermination. C'est donc une visite tout particulièrement à recommander car elle illustre, s'il en était besoin, que la création a toujours été un moyen de s'engager dans des luttes. Ceux qui ont connu Arles à l'époque où le cœur des rencontres battait du côté des anciens ateliers de la SNCF seront néanmoins nostalgiques de constater que depuis que la fondation Luma s'est approprié cet endroit l'esprit des lieux a disparu. Des allées proprettes et un aménagement paysager ne suffisent malheureusement pas à y insuffler une âme. Ce constat est d'autant plus regrettable que depuis l'implantation de Luma aucun autre lieu ne joue plus ce rôle au sein des rencontres. Avec Luma, les Rencontres d'Arles ont perdu une partie de ce qui faisait leur cachet que le brillant de la tour Gehry ne suffit pas à redorer.

Des forêts qui s'effacent avec Léa Habourdin ?
Dans son exposition "Images-forêts : des mondes en extension" à l'espace Croisière, Léa Habourdin nous fait découvrir des images prises dans des zones forêts françaises dite « à caractère naturel », c'est-à-dire qui n'ont subi aucune intervention humaine depuis plus de soixante ans et sont de ce fait inaccessibles au grand public. Ces photos tirées en grand format grâce à la chlorophylle photosensible de végétaux utilisent des pigments colorés issus de plantes, ce qui explique leur ton bleu, vert ou rouge très pâle et peu contrasté. Chacun pourra y retrouver des éléments des forêts imaginaires qui l'accompagnent depuis les contes de son enfance.
Tout comme l'écosystème des forêts est menacé par les activités humaines, ces images – que Léa Habourdin a très judicieusement disposées dans des coffres de bois que l'on peut ouvrir – s'effacent au fur et à mesure qu'on les admire. Si on veut vraiment les préserver de la lumière pour que d'autres spectateurs puissent les voir, il faut se résigner à ne pas trop les regarder. On retrouve là toute l'ambivalence qui caractérise le rapport de l'homme à la nature et la responsabilité qui est la nôtre dans sa préservation pour la transmettre aux générations futures. À moins que l'effacement progressif de ces images ne soit plus directement la métaphore de la menace de la disparition pure et simple de ces forêts et de bien d'autres si l'activité humaine continue à se développer sur notre planète sans égard pour la nature.

La destruction des images avec Noémie Goudal
En pénétrant dans l'Église des Trinitaires pour l'exposition de Noémie Goudal "Phœnix", on est tout d'abord saisi par la douce pénombre qui y règne. Cela tranche avec la lumière de l'été arlésien qui en pleine journée écrase tout à l'extérieur en cet été caniculaire. Très vite, on comprend que pour l'artiste, l'enjeu est de s'interroger sur la nature de ce qui est montré. Ce que l'on pourrait prendre pour deux immenses feuilles de palmier qui émergent parfaitement du noir à l'entrée du lieu grâce un éclairage très bien maîtrisé sont des compositions graphiques qui ne correspondent absolument pas à la géométrie de vraies feuilles mais sont issues d'une composition humaine effectuée par logiciel. À quelques pas de là, sur un écran défile une vidéo tournée de nuit d'un rocher de bord de mer qu'un pinceau lumineux explore comme s'il s'agissait de la scène d'un théâtre scrutée point par point dans l'attente de la survenue d'un événement singulier qui tarde à se manifester. Là encore, ce que l'on croit percevoir ne correspond pas à la réalité de ce qui est mais à une construction que le spectateur opère.
Plus au fond de la salle, deux gigantesques écrans nous montrent deux installations bluffantes qui nous racontent chacune, à leur façon, la disparition des images. Sur la première, ce que l'on prend pour l'incendie d'une végétation tropicale luxuriante n'est en fait que la photographie de ce paysage qui se consume dans de vraies flammes. Bientôt le premier plan n'est plus que cendres et laisse apparaître, au second plan, un paysage dont la végétation ressemble à s'y méprendre à celle de l'image partie en fumée. Rapidement des flammes apparaissent et ce que l'on a pris un instant pour un vrai paysage se révèle à son tour n'être qu'une photographie dévorée par des flammes. Ce dispositif qui se répète fonctionne parfaitement : à chaque étape, on se demande si ce qui se dévoile progressivement derrière le plan qui se consume et tombe bientôt en lambeaux est l'ultime réalité ou bien seulement une nouvelle photographie promise à sa prochaine destruction par le feu. Les spectateurs restent ainsi en arrêt à attendre de connaître la vérité, hypnotisés par le besoin de savoir. Mais quand finalement se révèle ce qui ressemble à un mur de fond devant lequel l'installation a été progressivement mangée par les flammes, le doute persiste. On accepterait bien volontiers l'idée qu'il y a encore derrière d'autres décors et que le monde est en définitive constitué en pelure d'oignon.
La seconde installation est toute aussi troublante : dans ce qui ressemble à un lent rituel mécanique, des images de grande taille de paysages luxuriants suspendues à la verticale par des câbles émergent ou disparaissent progressivement d'une zone marécageuse entourée de végétation. On ne sait quand ce ballet a commencé ni quand il finira de même qu'on ignore la logique qui le détermine mais regardant cela, on prend seulement conscience que face à la présence de la nature, celle des photographies n'est en fait qu'illusoire.

Par les multiples interrogations qu'elles suscitent, ces installations font vivre l'expérience d'un temps dont l'écoulement s'accélère, ralenti ou s'interrompt au rythme de nos attentes. Elles nous rappellent que la réalité perdure tandis que les photos, tôt ou tard, disparaissent de nos regards.

Michel Grenié

Après deux années fortement perturbées par le Covid, les Rencontres d'Arles 2022 accordent un point focal à des femmes photographes, jeunes ou non, reconnues ou à découvrir.

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