Les prises de risque des prises de vues | Didier de Faÿs
Nous sommes aujourd’hui devenus tous photographes. Nous vivons une révolution du regard porté sur le monde. Pourtant, par l’accumulation des images numériques, la conscience du réel devient floue. Nos photographies, vite partagées, sont oubliées le temps d’un like pavlovien. On photographie ce que l’on ne regarde plus ; et l’on ne regarde plus ce que l’on photographie. L’album de famille appartient au passé comme les doubles-pages des magazines. Sans mémoire, les repères s’estompent. Le regard perd tout son sens et l’image, banalisée, perd toute sa valeur.
Pour prévenir une indifférence généralisée face aux réalités, les jeunes photographes de Bourse du Talent poursuivent une démarche essentielle, située au cœur de la photographie, celle de documenter le réel, en rendant visible ce qui est rarement montré, et de bousculer nos représentations. Ils ont en commun un engagement fort dans une démarche artistique qui fait émerger ces histoires contemporaines. Leurs sujets couvrent tous les champs de notre société, de l’intime à fleur de peau, des marges jusqu’aux lignes de fracture du bout du monde.
S’engageant ainsi avec l’image, leurs prises de vues sont autant de prises de risque. Car pour mieux nous raconter la réalité, les photographes rentrent dans leurs sujets et font corps avec leurs histoires. Ce n’est plus alors un acte anodin. Ce ne sont pas quelques photos de plus. Ce sont des moments précieux et des histoires particulières qui sont transmises pour revivre dans les yeux du regardeur.
Avec engagement, le Jury du prix salue l’émergence d’un talent dont l’expression se déclenche dès l’instant de sa confrontation avec le sujet. Les protocoles techniques induits par l’appareil et le dispositif photographique initient un processus à la fois rapide et profond lors duquel l’image se confond avec la magie. Ce sont des histoires complexes parfois hors-champs qui sont ainsi rassemblées et fixées en une fraction de seconde. À ce moment, le photographe compose et intègre dans sa photo tout ce qui se passe en dehors du cadre.
Impliqué, l’acte photographique agit en profondeur sur le sujet lui-même en lui redonnant toutes les couleurs de son identité. Le regard répare les paysages meurtris et les blessures de la vie sur un visage par le simple fait de prendre ce temps-là. Le photographe ne prend pas seulement l’image, il la crée et la fait vivre.
Toutes les histoires ne se racontent pas sur les réseaux sociaux. Toutes les vies n’y sont pas toujours visibles. Il faut le regard des photographes pour les révéler. Il faut le vôtre parcourant les cimaises pour les faire exister. Exposées en grand formats, sur des tirages subtils, ces histoires deviennent mieux partagées avec des valeurs de gris et de couleurs qui sont aussi les valeurs humaines. Elles sont les nôtres. Au plus proche de chacun de nous, de chacun de nos mondes, les photographes racontent la diversité de nos histoires. En les regardant, elles s’incarnent, et nous sommes au cœur de nous-mêmes.
Didier de Faÿs, directeur de la publication de Photographie.com