Aktivistische Fotografen für unsere gemeinsamen Werte
La Bourse du Talent, créée en 1997, a révélé de nombreux photographes qui portent un regard singulier sur notre société et nous invitent à la regarder autrement. A l’origine de l’émergence de talents sans distinction d’âge, de nationalité ou de parcours, cette Bourse a été initiée au sein de Photographie.com par Didier de Faÿs, avec le soutien de Picto Foundation, qui réalise les tirages des lauréats et des partenaires comme la SAIF et PixTrakk. Grâce à la générosité des photographes et du laboratoire PICTO, un ensemble de leurs tirages rejoint les collections de la BnF. En quinze ans de partenariat, plusieurs centaines de photographies ont ainsi fait leur entrée dans le patrimoine national, attestant de la vivacité de la scène photographique contemporaine. Pour Didier de Fays : « les lauréats de l’édition 2021 racontent tout l’espoir porté dans le monde d’après la crise sanitaire. Au-delà des frontières réelles ou sociales, au-delà des mots et des champs de la photographie, ces photographes sont activistes militants des communs qui nous rassemblent. »

Bourse du Talent 2021 – Lauréat Gabriel Dia
Gabriel Dia est né en 1985 au Sénégal. Franco-sénégalais, il vit et travaille à Paris depuis 2003. Ingénieur de formation, il développe d’abord son langage artistique au travers de l’écriture. Une passion qui le pousse à publier en 2014 « La rencontre », autofiction traitant de l’adolescence et des relations parents-enfants, puis en 2015 « La naissance d’une vierge » aux Éditions de Montigny. Ayant toujours été sensible aux photos, il nourrit son imaginaire des œuvres de Dominique Issermann et de Peter Lindbergh entre autres. Mais la découverte, en 2015 à la galerie Polka, des photographies de Sebastiao Salgado fut une révélation: il décide de se consacrer à la photographie qui, selon ses propres mots, « peut dire plus de choses en même temps ». Il entreprend des études photographiques à l’EFET et présente ses premières photographies en 2017 avec la série « Nature ». L’esthétique chamanique de ses photographies met en valeur divers procédés où la réflexion sur le corps domine. Pour la photographe Marie Borgia, jurée cette année de la Bourse du Talent : « De l’ombre chinoise colorée, tâtonnante, à l’élan affirmé, la chorégraphie libre du corps chez Gabriel Dia brise avec vitalité le verrou d’une volupté nouvellement conquise. La série Sabar est exposé et diffusé par la galerie arlésienne La Grande Vitrine et Fragments est exposé et diffusé par la galerie FishEye (Paris, Arles).
Série « Fragments »
Les Fragments sont une tentative de re-connexion du photographe avec ses cinq sens et un appel à la sensualité. Le photographe déclare : « Dans la société sénégalaise musulmane où j’ai grandi, le corps est considéré comme un objet d’impureté qu’il faut toujours laver avant le rituel de la prière. Avec ce projet, j’espère faire taire peu à peu ces injonctions qui ont bercé mon enfance et mon adolescence avant mon exil en France à l’âge de 18 ans. Apprendre à aimer à nouveau mon corps et ses attributs.» Pour Gabriel Dia, ce corps fragmenté est ainsi recomposé par des jeux de synesthésie, d’équivalences colorées et appelle à une renaissance du désir.
Série « Sabar »
Cette série d’autoportraits rend hommage à une danse sénégalaise réservée aux femmes, le Sabar. Les hommes ont traditionnellement interdiction de la danser et ceux qui osent le faire sont vivement critiqués par la communauté. Cela fut le cas de Gabriel Dia à l’âge de six ans. Le souvenir de sa mère en furie venant le chercher dans cette foule de femmes a longtemps hanté son enfance et son adolescence. Cette expérience de l’ordre du traumatisme a d’ailleurs certainement été décisive dans son choix radical de l’exil en France à l’âge de dix-huit ans.Vingt-six ans après, telle une réappropriation de son histoire, de son identité et de sa culture, le photographe a décidé de danser à nouveau ce Sabar si longtemps interdit en se dissimulant derrière un film négatif opérant comme un voile protecteur. Une façon d’affirmer définitivement son homosexualité et de remettre en cause la question de sa condamnation au sein de la société sénégalaise.

Bourse du Talent 2021 – Lauréate Aurélie Scouarnec
Née en 1990 à Argenteuil, en région parisienne, Aurélie Scouarnec vit et travaille à Paris. Orthophoniste de formation et photographe autodidacte, elle a notamment approfondi sa pratique photographique auprès de Claudine Doury lors de workshops. Son travail explore notamment des thématiques liées aux mythes, aux croyances populaires, dans une interaction étroite avec la nature. Elle inscrit sa recherche formelle autour de la lumière, des textures, de la sensation et porte une attention soutenue aux gestes et à la dimension rituelle qu’ils peuvent revêtir.
Elle a été finaliste du Festival International de Photographie de Hyères en 2018, et a récemment exposé son travail à la galerie l’Imagerie à Lannion (2020), et au sein de différents festivals ces dernières années.
Pour la jurée Anne Degroux, conseillère en communication qui accompagne des festivals tels que « Les femmes s’exposent » : « L’écriture poétique de la série d’Aurélie Scouarnec laisse percevoir ce qui relie le vivant. Un froissement d’aile, un pelage frissonnant, des mains agrippées… les relations subtiles sont à déchiffrer. L’humain y a sa place mais sans être la mesure de toute chose. C’est une invitation à changer de paradigme, à voir les autres vivants comme la condition même de notre propre vie. »
Série « Anamnêsis » (2018-2020)
Les images contant la naissance du monde et des hommes se sont bâties à partir de mythes entrelacés les uns aux autres, de symboles collectifs, de légendes et d’histoires de tout ordre. C’est ce fond de représentations qu’interroge Aurélie Scouarnec en s’appuyant sur la présence récurrente de motifs tels que l’élément aquatique, les jeux de forces antagonistes à même d’incarner un chaos originel. Très inspirée par la pensée d’Empédocle, l’un des premiers présocratiques à l’origine de la pensée occidentale, l’eau, la terre, le feu et l’air sont mis en tension par les forces d’attraction et de séparation, et la génération des corps suit ce même mouvement d’attirance et de répulsion.
Cette série se retourne ainsi vers la nuit de l’origine, à la recherche de ce qui se meut en amont du langage et de la mémoire. Elle navigue parmi certaines traces laissées par les premières pensées, poétiques et philosophiques, de l’origine du monde et des hommes. Des corps y surgissent, se cherchent et se soulèvent. Dans la circulation des éléments primordiaux se tisse cette quête d’un lieu de reconnaissance d’une antériorité toujours plus reculée.
Série « Feræ » 2020
Depuis le début de l’année 2020, Aurélie Scouarnec se rend régulièrement à l’association Faune Alfort liée au Centre Hospitalier Vétérinaire pour la Faune Sauvage, premier centre de soin en France pour les espèces sauvages. Dans ce lieu, la volonté est de secourir toutes les espèces d’oiseaux et de mammifères sans distinction.
Les gestes se répètent et deviennent rituels, les mains nourrissent, rééduquent, pansent et nettoient. Dans la proximité de cette rencontre avec l’animal sauvage, les mouvements cherchent assurance et justesse selon les espèces. On y apprend à être attentif aux minces signes d’effroi de l’animal, le temps du soin y est le plus bref possible, afin d’éviter à l’animal un stress mortel, ou au contraire de trop l’imprégner de la présence humaine. Au contact des corps blessés s’ouvre l’espace d’un face-à-face avec l’altérité animale où les distances se recomposent.A l’heure où les espèces sauvages et leurs habitats continuent à se réduire sans cesse, les actions de ces vétérinaires, étudiants, bénévoles apparaissent sous l’œil de la photographe comme une tentative de réparer nos liens avec le vivant.

Bourse du Talent 2021 – Lauréat Yann Datessen
Né à Saint-Étienne en 1977, Yann Datessen enchaîne divers emplois dans la manutention avant de se consacrer pleinement à la photographie, en autodidacte, à l’âge de trente ans.
En 2012, l’université Paris-Sorbonne le sollicite pour monter un atelier photographique à l’intention des étudiants. Dans le même temps, le photographe décide de lancer un magazine en ligne consacré à la photographie émergente appelé Cleptafire qui propose de mettre à l’honneur une photographie « incandescente », matière à collaborations littéraires et philosophiques.
Dans son propre travail photographique qu’il n’a dévoilé que très récemment, Yann Datessen explore la question de la marginalité dans des séries au long cours. En 2014, il vit ainsi cinq mois dans le quartier libre de Christiania, à Copenhague, et réalise des portraits au sein de cette communauté libertaire.
Au sujet de la série autour de la figure d’Arthur Rimbaud, ici exposée, la réalisatrice et documentariste Sophie Artaud, jurée de cette édition 2021 évoque : « des portraits-paysages qui imposent leur profondeur de champ et la poésie surnaturelle de leur récit. A l’humaine condition des territoires que parcourt le photographe répond à chaque fois l’énigme sombre ou cocasse d’un destin, celui de ses personnages au regard interrogateur, et le nôtre, pris à témoin et engagés dans leur mystère. »
Série « A.R. »
Entre 2016 et 2020, Yann Datessen a portraituré des adolescents de divers établissements scolaires et militaires des Ardennes : collèges plus ou moins aisés des centres-villes, lycées techniques ou agricoles en périphérie, casernes, structures de réinsertion professionnelle, avec le souhait de répondre en images à cette injonction du poète Arthur Rimbaud, originaire de Charleville-Mézières : « Tâchez de raconter ma chute et mon sommeil». Le photographe a poursuivi la quête de cet « adolescent en feu » qui, après ses fulgurances littéraires a décidé de mener une vie d’errance le conduisant à une fin tragique et solitaire en Ethiopie, en interrogeant de jeunes expatriés français à travers l’Europe : pourquoi se trouvaient-ils là, loin de chez eux ? Pour les interroger, il a longé la Meuse à pied, dormi dans ses forêts l’hiver, est allé caboter sur les terrils de Charleroi, les canaux de Bruxelles, voir à quoi ressemblait la mer grise à Ostende, les ports d’Italie, les villes de Marseille et de Londres, Chypre, le Danemark, la Suède, puis s’est rendu dans la jungle de Java avant de prendre ses marques au Caire puis à Alexandrie et Djibouti.
Au terme de son périple qui la conduit jusqu’à Harar en Ethiopie, la fascination de Yann Datessen pour le poète ne s’est pas tarie : « Son véritable chef-d’oeuvre, c’est d’avoir choisi d’utiliser ses deux pieds, plutôt que les douze pieds d’un alexandrin. » affirme-t-il et de déclarer : « mes images sont comme des contresens rimbaldiens, des contresens sur la vie des autres, des autres qui ne sont pas moi, ces soleils qui le pensais-je empêcheraient les ombres, empêcheraient le silence, s’il ne devait rester qu’une seule chose, à coup sûr ce serait ça, ça et marcher, marcher à l’ombre, parce que marcher c’est ne pas s’assoir, ne pas s’assoir c’est l’essentiel. »