Ce qui est intéressant dans le travail de Stanislas Blohorn, C'est qu'il va chercher là où plus personne ne cherche. D'abord, il sort des lieux communs de l'épuisement conceptuel et de l'épuisement minimaliste. Il revient vers le récit d'une nouvelle façon figurative d'une certaine manière. C'est à dire dans laquelle le territoire, les pratiques sociales –je n’aime pas le mot pratique–, le territoire, les pratiques sociales, les pratiques de la pêche, de la chasse fabriquent de la cohésion sociale.
Il faut bien comprendre que la Camargue est un territoire totalement artificiel qui est géré de façon hydraulique depuis début 19ᵉ, fin 18ᵉ. C'est un peu ça l'histoire de la Camargue. C'est un paysage artificiel et dans ces conditions d'artificialité, il arrive, cet artiste, a montrer comment ces territoires pluriels, ces territoires fabriquent non seulement du lien social, fabriquent une mémoire, mais portent aussi une identité très forte. C'est le grand paradoxe de ce territoire récent qu'est la Camargue de fabriquer une identité et une figure véritable. Là est l'essentiel du travail de Stanislas, ce que peu d’artistes font aujourd’hui, puisque l'identité est suspecte. L’identité serait un produit réactionnaire. Et Stan a le courage de résister à ça.
STANISLAS BLOHORN a la rage et le courage DE défendre L'identité de la Camargue
Il a le courage. Il a l'intuition, surtout. Il a la rage de le défendre parce que là est aussi son rêve. Oui, son rêve. Son rêve d'enfant adulte, c'est ça.
Son rêve d'enfant adulte. Et ce que j'aime chez lui, c'est qu'il navigue à vue sans protocole. Il navigue à vue comme artiste avec une totale imprudence. [Ce sont] des photos de nu, des photos de crâne. Et puis, petit à petit, le travail se structure au travers de la dérision, avec un soupçon de cynisme, avec des crânes brandis sur des perches comme si c'était sous la Révolution française. Ces monarques, ou ces capitaines d'armes que la Révolution a foutu en l'air, notamment à Marseille, au Fort Saint-Jean, quand les Marseillaises en furie portent la tête du capitaine des Jacobins qui avait été mis en taule par les Marseillais en furie sous la Révolution. Elles portent au bout de leurs perches. Il y a cette idée de révolte contre l'autorité jacobine. J'ai pensé à ça immédiatement. Le crâne du taureau sur une perche, c'est la tête du capitaine d'armes qui était embastillé au fort Saint-Jean par les Marseillais en furie, qui étaient contre révolutionnaire. Il faut bien comprendre que ce n'est pas à Marseille, ce n'est pas une posture révolutionnaire contre la monarchie, c'est une posture contre les Jacobins.
la tête de taureau parle de la terreur que subit la Camargue, face au regard colonisateur d'une pensée urbaine qui ne comprend pas ce territoire
De cette manière, lorsqu'il brandit la tête de taureau sur des perches, il brandit ça comme une figure d'effroi devant la terreur jacobine. Elle parle de la terreur que subit la Camargue, du regard colonisateur d'une pensée urbaine qui ne comprend pas la complexité de ce territoire et notamment sa richesse identitaire.
C'est, un travail qui est en devenir, qui est très récent. Je l'observe depuis l'origine. Petit à petit, on voit combien les maladresses de quelqu'un qui n'a pas fait d'études aux beaux arts jalonnent la liberté de l'artiste.
Absolument, je veux dire qu'il n'a pas eu cet enterrement de première classe, d'avoir eu un bac plus cinq aux Beaux arts de Paris. Il n'est pas dans la cancel culture, il n'est pas dans l'indigéniste, mais il n'est pas dans la woke culture, dans le Wokistan.
Il est libre, mais il est libre, comme l'est le poète, à courir des territoires et à s'égarer dans ces territoires. Sur la question de la photo, on voit bien comment parfois il perd les pédales sur le principe de la photographie. Est ce que c'est le corps dans la nature ? Est ce que c'est la nature sur la nature ? Est ce que c'est la transformation de la nature ? Bon, ce sont des mots tout ça, mais petit à petit, il commence à y voir assez clair par une imprudence incroyable. Il m'a envoyé une vidéo qu'il a faite où il y a le tracteur qui lisse le sable dans les arènes, et je trouve ça incroyable. Il marche, il filme son ombre, il ne ne s’en apperçoit même pas, je n’en sais rien. Il y a du cocasse, mais un cocasse, extrêmement tendre, un cocasse, très respectueux. Ce cocasse que la culture urbaine exclut.
Cette imprudence totale. Lorsqu'il fait un disque noir au centre des arènes, il me l'envoie et il y a un vide au milieu du disque noir et on pense à un disque.
Tu vois, un disque, un 33 tours, un 33 mille tours même, peut être. Et il avait mis une tête, un crâne de taureau au milieu. au milieu. Je dis mais c'est extraordinaire ! Mais je n'ai pas fini. Je lui dis ne touche plus rien. C'est très, très beau. Il a une imprudence intuitive qui l'amène certainement vers quelque chose de bon et bon au sens christique du terme, de rappeler que l'art ne doit plus continuer à fuir, à participer à l'exil de la beauté, mais à résister à l'exil de la beauté.
STAN essaie de rattraper la beauté en plein vol
En ce sens, son travail est bon, je le répète, au sens christique, parce qu'il essaie de rattraper la beauté en plein vol, comme comme le faisaient les peintres au XIXᵉ siècle, au XVIIIᵉ ou même les pictorialiste au début du XXᵉ siècle. Peindre les paysages, c'était une manière d'investir pour rencontrer, raconter, rencontrer un surréel.
On le voit avec Cézanne à l'Estaque, qui peint Marseille vers les collines, mais il est peint différemment. On le voit aussi avec André Derain qui rencontre le paysage, se prend une castagne solaire sur la tête. Il fait 40 degrés, il a une veste en velours, il a un gilet en velours, il a une chemise en coton, il a un tricot de corp en lin, Il fait 40 degrés. Il est à Cassis, il n'y a pas d'eau à Cassis, donc il boit à l'eau de pluie comme tous les villageois. Et pour la purifier il met de l'absynthe dedans et son regard, le regard qu'il porte, le regard qu'il porte sur le cap Canaille en face, est un regard totalement surréel. Toutes les couleurs, sont excessives. Ce sont celles de l'alcool, mais de la déformation. Encore une fois, chez André Derain comme chez Cézanne, le paysage n'est qu'un prétexte à dire, au travers de la peinture, une rage, une émotion, une contrition, une difficulté existentielle, même jusqu'à la peur de voir la vérité.
CETTE quête de l'identité est révolutionnaire ; elle se fait sur la matrice du bon et du bien
Et ça, je le rapproche avec beaucoup de maladresse moi même et d'audace du travail de Stan, cet artiste dans cette imprudence. Moi, je trouve son imprudence extrêmement réjouissante. Il verra bien. Je ne sais pas où ça va la mener, mais pour le moment, il a entamé un bon voyage. Et je le redis dans cette quête de l'identité, il est extrêmement courageux. Ça, c'est révolutionnaire la quête de l'identité, parce qu'elle se fait sur la matrice du bon et du bien pour tous.