« Du Québec, on m’avait vanté les grands espaces, la nature sauvage, les lacs et les forêts qui font rêver et fantasmer l’Européen à la recherche de ces immensités libératrices. Mais ce qui a attiré mon regard, ce sont ces petits édifices de bord de route, inévitables à l’entrée ou au centre des villages, isolés dans des espaces mal ajustés et disproportionnés. Leur nombre m’a intriguée autant que leurs formes m’ont émue : maisons de bois, bus recyclés, avions rafistolés, véhicules épuisés, détournés de leur usage premier pour une nouvelle vie de travail. Eclos aux premiers indices de chaleur, ils se refermaient inéluctablement à l’approche du moindre frimas. J’appris plus tard qu’on les appelait des "stands à patates frites", cousins des "baraques à frites" du Nord de la France et de l’Europe, moins sophistiqués que le "Diner" américain, mais ancrés de façon très spécifique dans la culture et dans l’imaginaire des Québécois. Photographier ces « stands » m’a fait découvrir un phénomène de société, bien spécifique au Québec, véritablement ancré dans la vie des Québécois. Et comme me le dira quelqu’un au cours de mes rencontres : "Y a pas un Québécois qu’y a pas un stand à patates dans l’cœur !". À chacun son stand et sa meilleure patate, sa meilleure poutine, son meilleur hot-dog ou son meilleur pogo ! Mais surtout, j’y ai rencontré une petite parcelle d’humanité magnifique, simple, lucide, pleine d’humour, qui, nous parlant d’elle, nous parlait de l’humanité tout entière. Les paroles glanées au cours de mes prises de vue ont modifié mon projet et me sont apparues aussi indispensables que les images. C’était la toute fin des années 1970. »
