Lacérations anonymes | AnnLu Fossier
Les affiches déchirées, recouvertes, re-déchirées nous sont familières où qu’on vive et pourtant on n’y prête qu’une attention très relative en les considérant surtout comme visuellement polluantes.
Pour moi, ces panneaux de papiers collés, empilés, entassés peuvent être de véritables œuvres picturales. Elles ne sont pas si loin des collages, si difficiles à réaliser, pas si loin non plus de peintures abstraites.
Voici de la poésie dans notre ordinaire !
Jacques Villeglé (décédé il y a quelques mois à l’âge de 96 ans), reste ma référence, le pionnier du street-art dit-on aussi. C’est avec Raymond Hains que dès 1949, ils commencent à réaliser des collages, à partir d’affiches lacérées récoltées dans les rues et traitant de messages politiques, commerciaux ou évènementiels.
Mais les affiches collées dans les rues d’Arles sont différentes. Elles fleurissent au plus fort de l’été, au moment où est mis à l’honneur l’art photographique, cet arrêt sur image. C’est le temps des Rencontres photographiques et c’est le sujet de toutes ces affiches.
Quel bonheur pour moi de trouver là une telle matière à prospecter et à travailler ! Des photographes qui s’exposent dans les galeries mais aussi partout dans la ville ! Monochromes, colorées et assez systématiquement décollées voire déchirées.
Et je m’interroge à chaque fois sur ces lacérations. Se veulent-elles simplement insolentes, perturbantes? ou y a-t-il une volonté artistique de transformer l’oeuvre, en proposant une autre interprétation ?
Puisque je participais à un stage photo dirigé par Marguerite Bornhauser sur le thème de « la poésie du quotidien », j’ai conçu mon projet autour de toutes ces photos affichées puis abîmées et essayé de montrer en quoi les déchirures soulignent parfois la pensée de l’auteur ou au contraire, peuvent en changer facilement la trajectoire et la vision. Et cela selon l’imagination de chacun d’entre nous.
Évidemment ce travail aurait été incomplet sans chercher à savoir « pourquoi déchirer toutes ces œuvres ? ».