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Marc
Garanger parle encore avec émotion de son expérience algérienne, dans
les années 60. Sa gorge se serre dès qu'il repense à certains moments
de ces deux années vécues en Algérie, comme soldat. Il s'est servi de
cette contrainte militaire pour témoigner de l'horreur calculée
: torture, violence morale et physique, esprit de vengeance…le tout sur
fond d’alcool et de tueries… Avant
même de partir en Algérie pour exécuter son service militaire, Garanger
a pleinement conscience de l'impact qu'il détient avec son appareil
photo. Il emmène de l'autre côté de la Méditerrannée, une culture
politique déjà bien établie, acquise dans les milieux intellectuels du
Lyon universitaire des années 50. Avec Roger Vailland, il a décortiqué
les mécanismes de cette guerre coloniale qui ne voulait pas dire son nom.
A 25 ans, tous les sursis et recours épuisés,
Marc
fait partie de ces photographes conscients de la puissance de leurs images.
Grâce à elles, il apporte une meilleure lecture de l'Histoire, plus forte
encore que bien des écrits. Pendant la guerre,l'armée, qui lui commandait
ces photos,
ne voit rien de ce que l'auteur cherchait à dénoncer.
Ainsi, lorsque trois sous-officiers l'interpellent pour se faire photographier devant le "mess", Marc Garanger prend une photo. Ils ont fait l'Indo, et veulent se venger de leur cuisante défaite. "On a buté du viet; on vient se faire du fehl ! ". Ils étaient très contents de cette photo. Les militaires semblaient inconscients du message et de la portée des images, seul un colonel réagit sur une photo de commande. C'est celle du commandant Bencherif, de l'A.L.N. qui vient d'être arrêté en octobre 1960. Un tract annonce qu'il s'est rendu en agitant son caleçon au bout d'un fusil. L'image de Garanger doit illustrer un tract évoquant la rédition et la faiblesse du prisonnier. Le colonel français remarque que "l'image dit exactement le contraire". Le tract est diffusé sans la photo. Les aveux récents de militaires responsables d'actes de torture, commis pendant la guerre, révèlent en mots, au monde entier, toute la violence abjecte que Marc s'efforce de montrer avec ses photos depuis 1961. Ces aveux, au même titre que ces photos, apparaissent comme des morceaux manquants au puzzle de l'Histoire, qui gardait caché tous les faits jusqu'à aujourd'hui. "L'image et la parole sont dans le prolongement l'une de l'autre. Je suis heureux qu'aujourd'hui on reconnaisse les dessous de cette guerre."
Marc Garanger ne se qualifie pas d'historien, pourtant, grâce à ses images, il nous aide à retracer l'histoire, telle qu'on commence réellement à l'accepter. L'armée parlait de pacification, à la fin de cette guerre. Cela consistait à raser les douars isolées des fellahs, pour les obliger à reconstruire leur mechta autour des postes militaires pour faire ce que l'armée appelait des villages de "regroupement" ou "villages nouveaux", le tout, cerclé de barbelés. Ce qui n'était qu'une opération militaire pour couper la rébellion de ses bases populaires. Dans les derniers mois, le commandement demande le port de la carte d'identité française, pour contrôler les déplacements. Il est demandé à Garanger de faire les photos d'identité. Ainsi, en 10 jours, il est contraint de photographier 2000 personnes, surtout des femmes, car les hommes étaient au maquis... Il a du tirer le portrait de ces femmes algériennes, qui sont dévoilées/violées à chaque prise de vue. Marc Garanger qui connaissait le travail de Curtis du début du siècle sur les indiens d'Amérique, décide de faire des portraits posés, en 6x6, cadrés jusqu'à la taille, et non de simples identités. Il recadre, au laboratoire, les photos resserrées sur les visages, pour livrer sa commande. Sa première exposition, c'est lorsqu' il les a alignées sur le bureau du Capitaine, celui-ci ameute l'état-major en hurlant : "venez voir comme elles sont laides, venez voir ces macaques, on dirait des singes!" Marc s'est dit alors qu'il ferait voir un jour ces photos pour leur faire dire le contraire de ce qu'il entendait sur l'heure!
En
1984, Marc a publié un deuxième ouvrage, aux Editions du Seuil: "La Guerre
d'Algérie vue par un appelé du contingent". La guerre vue par le petit
bout de la lorgnette. Il écrit au dos du livre: "Je lance ces images
pour tous ceux qui ont vécu cette guerre, pour libérer la parole, pour
lever la chape de silence qui la recouvre." Cet ouvrage s'est vendu
à dose homéopathique, mais le Seuil l'a courageusement gardé à
son catalogue, et il est toujours en vente actuellement. L'histoire se répète toujours, et Marc Garanger fait toujours la même photo... François-Marie
d'Andrimont
Une exposition des photos de Marc Garanger vient de se terminer le 23 décembre 00, exposition photographique ALGERIE 1960-1961 "Femmes Algériennes" "La Guerre d'Algérie vue par un appelé du contingent" à la Galerie du Théâtre de l'Agora, Scène nationale d'Evry et de l'Essonne, Place de l'Agora, 91000 EVRY |
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